Nous Sommes Tous Un Peu Responsables De Notre Propre Bonheur

L’organisation patronale chrétienne flamande “Vlaamse Kristelijke Werkgevers” publie chaque année vers la Noël un ouvrage dont l’ambition est de sortir des sentiers battus des conceptions classiques en matière de management. Cette année, le thème était “lâcher la bride”. Dans ce cadre, j’ai été interviewé par Rik De Wulf. Vous trouverez ci-dessous l’interview telle qu’elle a été publiée dans “Tussen Angst En Verlangen – Ondernemers over de kunst van het ondernemen”.

Pour plus d’infos: http://www.vkw.be/publicaties/boeken/24/697-tussen-angst-en-verlangen. Vous pouvez également commander l’ouvrage via isabelle.verlinden@vkw.be

Death, walk with me

J’ai déjà été confronté de très près avec la mort à plusieurs reprises. J’ai appris à voir la mort comme quelque chose qui vous accompagne pendant toute votre vie. Elle n’est pas une source de tristesse, mais une évidence.‘Death, walk with me’. Je n’ai pas peur de la mort, mais bien de la souffrance qui peut la précéder. Certains pensent qu’il y a quelque chose après la mort. Pas moi, mais cela ne fait aucune différence quand il s’agit de se demander comment on peut vivre en faisant le bien autour de soi. Puisque je considère la finitude de l’existence comme une réalité, je n’éprouve donc trop pas de difficultés à m’en détacher. Si la vie éternelle s’ouvrait à moi, je crois que je ne ferais pas grand-chose. Je penserais toujours: ‘j’ai bien le temps’. Selon moi, la paresse est un des pires péchés capitaux: ne pas suffisamment vouloir faire le bien.

Ne pas déléguer, mais plutôt responsabiliser

Vous évoluez dans un environnement dans lequel vous êtes responsable d’une centaine de personnes. Et vous devez alors vous demander: ‘que puis-je faire pour rendre ces gens heureux, et pour que les personnes pour lesquelles nous travaillons soient heureuses de ce que nous faisons pour elles’. Il est alors nécessaire de lâcher la bride. Sinon vous n’y arrivez pas. J’utilise très peu le mot déléguer à ce sujet. Car déléguer implique que vous possédez quelque chose que vous confiez temporairement à quelqu’un et que vous reprenez ensuite. Notre organisation a une tâche à accomplir, qui nous a été confiée par la société. Ceux qui sont le plus à même de proposer des solutions doivent le faire. Pas parce que je le leur demande, mais parce qu’ils doivent le faire. Peu importe que vous vous trouviez au sujet de la hiérarchie ou que vous fassiez partie du personnel d’entretien, chacun a sa part de responsabilité. Il est vrai que certains doivent davantage se justifier pour les responsabilités qu’ils assument. Mais ils sont mieux rémunérés en contrepartie. Mais chacun est tout aussi responsable. Et c’est la raison pour laquelle chacun mérite le même respect. Sinon, certains décrochent. La première chose qu’il faut donc faire est de convaincre le plus possible les personnes de leur importance dans notre organisation, indépendamment de leur position dans celle-ci. Je ne délègue donc pas. Par contre, avec un groupe de personnes, je mets au point une stratégie, je trace une voie à suivre. Mais je laisse mes collaborateurs décider des moyens à mettre en œuvre à cet effet.

Employeur sexy

Je n’ai aucune peine à me détacher de certaines choses. Je pourrais tout aussi facilement abandonner le poste que j’occupe actuellement. Il est vrai que j’ai changé d’activité presque tous les cinq ans. Et mon occupation professionnelle doit être variée, sinon je changerai à nouveau d’horizon. Je suis arrivé ici en 2002. Il n’y avait rien à l’époque. En 2005, nous avons finalisé la réorganisation complète de nos processus internes. Et je me demandais si j’allais rester. Que pouvais-je encore faire ici ? Mais c’est alors que nous avons dû faire face à la réalité du problème auquel nous allons être confrontés: engager les personnes adéquates. L’évolution démographique qui nous attend est une véritable catastrophe. En 2020, les personnes qui quitteront le marché du travail ne seront remplacées qu’à 60%. La chasse aux talents sera un défi énorme. Nous devrons être un employeur sexy. Quelqu’un qui inspire la confiance à son personnel. Qui accorde la plus haute importance dans son organisation à l’autodétermination de ses collaborateurs. Nous avons donc décidé de ne plus être une organisation qui décide comment, où et quand les collaborateurs s’acquittent de leurs tâches. La transformation de notre organisation découle, d’une part, d’une conviction personnelle que je défends avec force et, d’autre part, d’une analyse rationnelle des défis que nous allons devoir relever. Et j’ai constaté avec beaucoup de plaisir que les deux motivations vont de pair. J’estime depuis toujours que toute personne qui a une fonction dirigeante doit faire preuve de moralité et d’authenticité. Si vous ne le faites pas, vous n’existerez plus dans 20 ans. Auparavant, l’employeur pouvait choisir son travailleur. A l’avenir, ce sera le travailleur qui choisira son employeur. Et un travailleur ne veut pas entrer au service d’un employeur qu’il juge  immoral. Un employeur qui n’a pas un comportement authentique et moral, et qui n’a pas de message à faire passer auprès des personnes qui viennent travailler à son service, éprouvera de grandes difficultés à l’avenir.

Tout est une question de bonheur

Mon point départ était de rendre mes collaborateurs heureux. Le bonheur n’est pas le fruit du hasard. Selon certains  chercheurs, vous êtes responsables à 70% de votre propre bonheur et vous ne pouvez influencer les autres 30%. Beaucoup de personnes ne sont apparemment pas satisfaites par leur travail. Elles recherchent donc en dehors de leur milieu de travail un environnement qui leur procure du bonheur. Pourquoi n’avons-nous pas ces mêmes attentes à l’égard d’un environnement de travail ? Le bonheur dépend dans une large mesure de la possibilité que nous avons à mener notre barque comme nous l’entendons et à prendre nous-mêmes nos décisions. L’autodétermination est un facteur très important. Nous avons jeté notre regard sur du personnel jeune et hautement qualifié. Car c’est ce personnel-là dont nous aurons besoin à l’avenir. Je me rends bien compte que par la digitalisation de notre organisation, je contribue à la dualisation de notre société. Mais pour nos activités, nous disposons à présent des spécialistes de pointe dans le domaine de la sécurité sociale en Belgique.

Une autre approche du temps

Quelles sont les priorités de ces personnes ? Leur vie privée et leur vie professionnelle doivent pouvoir se combiner d’une manière qu’elles jugent harmonieuse. On constate que les jeunes organisent leur vie privée différemment. Lorsqu’il fait beau, ils ont envie de se promener. Aujourd’hui, ils doivent le faire avant 9 heures ou après 17 heures. Ce n’est pas nécessaire pour moi. Nous avons analysé nos tâches et nous avons constaté que les personnes doivent être physiquement présentes que pour 8% des fonctions de l’organisation: le personnel de l’accueil, le personnel de nettoyage … Pour certaines personnes, nous devons uniquement leur dire quand elles doivent travailler. Nous avons par exemple un call center: ces collaborateurs ne doivent pas être physiquement présents, mais être joignables à certaines heures. Ils disposent du matériel technique nécessaire qui leur permet de travailler à domicile. Mais pour environ  70% des collaborateurs, nous ne devons pas leur dire où et quand il doivent travailler. Ils doivent naturellement être présents à certaines occasions, par exemple pour assister à une réunion. Cette manière de travailler nécessite toutefois des outils technologiques de pointe, dans lesquels nous avons beaucoup investi. Il s’agissait de laisser aux collaborateurs le soin d’organiser leur temps de travail et leur vie privée. Et il n’y a plus de distinction entre les  deux. Ils ont rapidement accepté l’idée, car les avantages leur étaient évidents. Pas uniquement le temps gagné pour les déplacements, mais aussi le fait de travailler dans un environnement familier. 62% de nos membres du personnel travaillent actuellement entre un et trois jours à la maison. Mais nous voulons aussi qu’ils se voient encore. C’est la raison pour laquelle ils passent une partie de leur vie professionnelle ici. Notre environnement est totalement axé sur les rencontres. Personne n’a son propre bureau. Moi non plus. Lorsque les collaborateurs viennent ici, c’est pour se voir, se parler. Aussi  au sujet des enfants, de tout et de rien. C’est possible, car nous ne travaillons pas montre en main. Auparavant, lorsque je sortais de mon grand bureau et que deux personnes étaient en train de discuter, elles s’enfuyaient. Maintenant, elles disent ‘Bonjour Frank’, et continuent de discuter à l’aise, car elles savent que nous ne tenons compte que de leurs résultats. Les gens qui nous rendent visite me demandent parfois: ‘Pouvez-vous encore faire totalement confiance à vos collaborateurs, en leur laissant tant de liberté ?’ Je leur réponds alors: ‘Vous êtes ici maintenant; êtes-vous sûr que les personnes que vous dirigez sont bel et bien en train de travailler ?’ En fait, vous ne pouvez savoir si une personne est effectivement au travail que si vous la surveillez directement. Et encore. Au fond, il faut toujours évaluer les résultats, aussi dans un environnement de travail de 9 à 5.

Et le chef ?

La plupart des chefs étaient également enthousiastes. D’autres un peu moins. Nous avons remodelé l’image du chef que nous souhaitons. Nous ne voulons pas d’un chef qui contrôle si un collaborateur est présent entre 9 h et 17 h. Que voulons-nous alors ? D’un coach, d’un chef qui apporte une plus-value, qui résout des problèmes lorsqu’ils se posent, qui incite à la collaboration, … Le chef est évalué sur les résultats de l’équipe, mais aussi sur son comportement, un aspect pour lequel il est évalué par son propre personnel. Lorsqu’ils ont une évaluation négative, nous les orientons vers une autre tâche. Parce qu’un expert n’est pas nécessairement un bon chef. C’est n’est même souvent pas le cas. Mais auparavant, ils décrochaient souvent une promotion. Certains étaient très heureux de ne plus devoir exercer une fonction dirigeante. Les systèmes de rémunération courants ne sont pas en adéquation avec ce raisonnement. Car si vous voulez gravir l’échelle sociale, vous devez devenir un manager. C’est la raison pour laquelle j’estime que nous devons pouvoir rétribuer nos experts au même niveau que nos managers. Je n’ai rien contre le fait que le ‘gourou’ de la sécurité sociale dans mon organisation gagne plus que moi, car il est plus difficile à trouver. La loi du marché doit pouvoir s’appliquer: le meilleur joueur de football au monde gagne plus que son entraîneur. Je ne conçois cette différentiation que pour le sommet de la hiérarchie, pas pour la plupart des collaborateurs. Car elle ne ferait qu’attiser la jalousie parmi les collègues. Il faut faire l’éloge de la grande majorité d’entre eux qui travaillent bien, tout en étant sévère à l’égard de ceux qui mettent des bâtons dans les roues.

 Vous recevez ce que vous donnez.

La réticence à lâcher la bride repose sur une crainte illusoire. Si les gens ont l’habitude d’être contrôlés, ils agissent en conséquence. Chassez le naturel et il revient au galop: toute personne contrôlée essaye d’échapper au contrôle. Ce que nous constatons: nous oublions l’horloge et les gens vont trop travailler. Ils veulent terminer une tâche. Ce n’était pas possible auparavant, car le signal de départ était donné à 17 h. Maintenant, vous êtes en plein travail et vous continuez sur votre élan. Vous vous dites que vous arrêterez un peu plus tôt demain, mais vous ne le faites finalement pas. C’est ce que nous constatons pour tout le monde. Mais ce n’était certainement pas notre motivation pour le choix de cette manière de travailler. Le bonheur, le bien-être étaient au centre de nos préoccupations. Mais cela montre que des activités axées sur des valeurs permettent l’accroitre la productivité. Pourquoi ? Car les valeurs induisent la réciprocité. Ce que vous donnez, vous le recevez en retour. Pour preuve: suite aux changements que nous avons opérés, nous n’avons plus besoin que d’espaces de travail correspondant à 70% de notre capacité totale. Nous avons ainsi pu réaliser des économies considérables. Si mon personnel avait l’impression que cette réorganisation a uniquement pour but de réaliser des économies à leur détriment, il ne collaborerait pas. Mais nous avons réinvesti le produit de ces économies. Nous avons d’abord rendu le télétravail possible et ensuite offert un environnement de travail confortable. Lors de chaque changement, nous nous demandons: ‘comment pouvons-nous donner quelque chose à nos collaborateurs’ et ensuite: ‘comment pouvons-nous leur demander quelque chose en contrepartie’. Et ça marche. Cette approche est très rare dans une organisation de type purement commerciale, sauf chez celles dont les résultats sont excellents. Toutefois, il est tout aussi possible dans une entreprise de faire en sorte que le travailleur en arrive au constat suivant: ‘nous sommes beaucoup plus efficients, nous augmentons nos bénéfices, mais pas à mon détriment’. Il s’agit là d’une autre manière de lâcher la bride: d’abord donner quelque chose, sans savoir si vous allez recevoir quelque chose en retour. J’y accorde beaucoup d’importance. L’art de lâcher la bride est en fait l’art de donner, tout en comptant sur une contrepartie.

Over Frank Van Massenhove

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